Présidant samedi à Tétouan l'ouverture des travaux du Conseil supérieur des Ouléma, Sa Majesté le Roi, Amir Al Mouminine, a prononcé à cette occasion un important discours qui a valeur de réforme programmatique et affirmé sa détermination à «aller de l'avant dans la mise à niveau du champ religieux». Le moment – jour de la commémoration de Laylat al-Qadr - et le lieu - Tétouan qui est une citadelle phare de l'authenticité et de l'ouverture - confèrent au propos royal une dimension significative.
C'est à une vaste et profonde réforme que l'allocution royale appelle.
Elle concerne le champ religieux qui, depuis son accession au Trône en
juillet 1999, constitue aux yeux du Souverain un domaine de
prédilection qui reflète et préfigure le Maroc moderne et enraciné dans
ses valeurs ancestrales. Et pour mieux illustrer une telle volonté,
proclamée dès les premiers mois du règne, mais de nos jours à l'œuvre,
le Souverain entend la déployer par le biais d'une généralisation qui
concernera indistinctement régions et provinces du Royaume. Elle
donnera à la régionalisation sa pleine force et l'impact nécessaire
d'une réforme jusqu'ici inédite et novatrice.
C'est dans ce sens que le Souverain trace d'emblée les contours de ce
grand redéploiement en affirmant qu'une telle «mesure permettra de
répondre à la nécessité impérieuse de prendre en considération les
spécificités et les coutumes propres aux habitants de chaque région, et
d'apporter des réponses aux questions qui les interpellent en matière
religieuse». Force nous est de souligner que le propos du Souverain
constitue le condensé, limpide et profond, d'une vaste problématique.
Il donne la mesure de la prise de conscience du Souverain du rapport du
citoyen à la religion, et de sa volonté irrépressible d'opérer dans une
harmonie parfaite l'interpénétration intelligente et objective de la
spiritualité et de la modernité.
C'est aussi, à n'en pas douter, la raison pour laquelle S.M. le Roi met
en relief une vision de proximité, en mettant sur pied non seulement
des conseils régionaux des Ouléma, mais aussi spécifiquement un Conseil
des ouléma pour la communauté marocaine installée en Europe. Celle-ci,
en aucun cas, ne peut ni se détacher de l'Islam marocain ni rompre le
cordon ombilical avec sa spiritualité originelle. La décision royale en
ce sens procède d'une grande sollicitude, du devoir monarchique envers
ses fidèles citoyens et, aussi, du devoir de protection de ces derniers
face aux coupables déviations et aux dérives qui, d'un continent à
l'autre, offrent hélas parfois une image réductrice de l'Islam et
donnent l'occasion à ses adversaires patentés de le critiquer.
A cela, et avec l'autorité et le privilège que son titre et sa fonction
de Commandeur des croyants lui confèrent, S.M. Mohammed VI apporte la
réponse idoine, convaincante et argumentée : «La décision de créer,
souligne le Souverain avec force, un Conseil des ouléma pour la
communauté marocaine en Europe est une initiative de nature à favoriser
une certaine ouverture sur les spécificités religieuses et culturelles
de cette communauté et à aider à prémunir la foi et les valeurs
authentiques qui font la singularité de leur identité marocaine contre
les velléités intégristes et extrémistes». En amont et en aval, la
démarche est globale, elle se complète d'un bout à l'autre au travers
d'une volonté manifeste de réformer sans pour autant s'écarter des
principes cardinaux de s'inscrire dans notre culture de sagesse et de
pérennité. Cependant, la réforme si elle ne s'appuie pas sur un socle
ne pourrait être que vaine promesse. Suite en page 2
Or, Sa Majesté le Roi entend la doter et la fortifier de moyens
nécessaires : la mise en place notamment d'un programme global
d'encadrement et de mise à niveau des imams des mosquées, la
redynamisation du rôle de celles-ci participent à coup sûr de cette
nouvelle vision du champ religieux.
Soulignant d'ailleurs sa volonté de mettre en œuvre et sans la moindre
hésitation la réforme du champ religieux, le Souverain n'a-t-il pas
rappelé que « cette réforme institutionnelle ne saurait être complète
que si l'on s'attelle à redynamiser le rôle des mosquées, tant il est
vrai qu'elles constituent le cœur vibrant de la sphère spirituelle » ?
Et, mettant en parallèle les différentes missions de cette enceinte
spirituelle qu'est le lieu de culte islamique, Sa Majesté d'affirmer :
« Notre vœu est de conforter les mosquées dans la vocation qui est la
leur, en tant que lieux de culte et espaces d'invocation de Dieu, de
guidance, d'orientation spirituelle et d'alphabétisation ».
Le Souverain, tout à son sens profond de la mesure, gardien vigilant de
la règle et du patrimoine religieux du Maroc, a évoqué la «
sensibilisation aux principes de la pensée religieuse éclairée » ! Nous
sommes là, de toute évidence, au cœur de la problématique, aux
premières marches de l'avant-garde d'une philosophie religieuse dont
notre pays, et surtout le Roi du Maroc, demeure l'invincible
dépositaire alors que, ici et là, s'allument les lampions du désordre
religieux et des travestissements extrémistes qui sont, autant que
l'aveuglement, les fossoyeurs de l'idéal originel. N'est-ce pas un tel
souci qui justifie le passage dans le discours du Souverain selon
lequel « la rénovation et la réorganisation du Conseil supérieur des
ouléma et des conseils locaux des ouléma s'inscrivent dans une démarche
ambitieuse hissant le discours religieux à la hauteur des réalités de
notre époque et des impératifs de protection de nos jeunes contre la
perte des repères et des références et les risques de les voir
instrumentalisés par les trublions et les extrémistes de tout poil ».
Instruit et inscrit fortement dans le terrain de la réalité de tous les
jours, marqué du sceau de l'actualité se faisant, le discours royal ne
perd jamais de vue la dimension quotidienne dont la religion constitue
un pan majeur indépassable. Il en est le miroir et s'imbibe de cette
réalité de tous les jours qui est aux hommes et aux femmes ce que le
destin incontournable est à l'humanité.
Sa Majesté le Roi, Amir Al Mouminine ne néglige, tant s'en faut, aucun
aspect de la vie religieuse de notre pays, n'écarte aucune spécificité,
individuelle et collective, anticipe à vrai dire ce qui, au premier
abord, se montre à nous d'une fugacité imparable, mais devient au fil
du temps, en revanche, une tendance lourde de l'évolution religieuse du
Maroc. On ne peut que souscrire, en effet, à l'annonce ainsi faite de
la « mise en place d'une instance de recours, seule habilitée à mettre
des fatwas (avis jurisprudentiels) ». Le Souverain affirme à cet effet
: « Notre but est de mettre cette prérogative interprétative à l'abri
des intrus et autres imposteurs qui se placent en marge du cadre
religieux institutionnel, incarné par la Commanderie des croyants, dont
nous sommes dépositaire ». Voilà qui met les choses à plat, et qui nous
prévient opportunément et fermement à la lumière d'une actualité
récente où se sont croisés l'imposture, voire un certain charlatanisme
et une irrévérencieuse cupidité.
Le discours que Sa Majesté le Roi Mohammed VI a prononcé à l'ouverture
des travaux de la session ordinaire du Conseil supérieur des ouléma
renforce, à coup sûr, la réforme profonde entamée sous son égide,
notamment à partir du discours du 30 avril 2004 qui en a posé les tout
premiers jalons. C'est une réforme audacieuse et modernisatrice, c'est
pour ainsi dire une « révolution copernicienne » dans la science
religieuse, articulée sur la rénovation de la carte de déploiement des
conseils locaux des ouléma ; la création d'un Conseil pour la
communauté marocaine en Europe ; la mise à niveau du rôle spirituel et
pédagogique des mosquées ; celle de la prise en charge du personnel
religieux et enfin le lancement du pacte des ouléma ( Mithaq
al-Oulamae). L'histoire de la spiritualité du Maroc franchit un pas
décisif, parce qu'elle donne l'exacte mesure de la puissance et la
richesse de l'Islam du Maroc – dont Amir Al Mouminine est
l'irréductible défenseur – qui est le fer de lance de l'unité, de la
solidarité, du développement, de l'ouverture et de la tolérance.
Le Matin