dimanche, 05 août 2007 16:50

Bilan du gouvernement : La méthode Jettou

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À l'approche des élections législatives, le bilan du gouvernement suscite le débat, certes. En même temps, la méthode Jettou fait des émules. Le chiffrage des programmes des partis devient à la mode.
CE constat s'impose de lui-même. Au terme des législatures passées, il n'y avait pas de débat sur le bilan du gouvernement. Parce qu'il n'y avait pas de programmes clairement préétablis pouvant donner lieu à une quelconque évaluation et donc au moindre débat. Quand des discussions politiques avaient lieu, elles étaient concentrées sur des questions du genre : qui va remplacer qui, avec la bénédiction de qui et comment ? Et de toutes les façons, le peuple ne fondait pas grand espoir sur le gouvernement. C'était uniquement le Roi qui pouvait lui apporter quelque chose.
Bien sûr, Abderrahman Youssoufi a eu le mérite d'avoir préparé un climat politique favorable à son successeur, Driss Jettou. Mais, ce technocrate et son équipe ont bousculé les habitudes. Jettou est le premier Premier ministre à avoir présenté un programme économique multisectoriel chiffré et daté. Programme dont il vient de dresser le bilan, non sans satisfecit.

Aujourd'hui, parce que, de l'avis général, elle a réussi, la méthode Jettou devient un cas d'école. Tous les partis politiques qui viennent de présenter leur programme se sont sentis obligés de montrer qu'ils savent aussi élaborer des programmes datés et chiffrés. Cet exercice, inhabituel au Maroc, engage désormais les formations politiques vis-à-vis de leurs électeurs. Ces derniers pourront à terme évaluer les promesses du parti pour lequel ils auront voté. Et pour tenir leurs promesses, les partis devront aller au-delà du chiffrage de leur programme. C'est ce qu'a fait le Premier ministre sortant. Son bilan, en dépit de quelques faiblesses, parle pour lui.

Démarche inédite

Dans son travail de Premier ministre, Driss Jettou a travaillé comme manager plutôt que partisan qu'il n'est pas d'ailleurs. Comme tout patron éclairé, il a commencé par établir un diagnostic en diligentant une étude auprès du cabinet d'étude McKinsey.

Diagnostic qui a permis d'identifier les points faibles et les points forts du tissu industriel marocain. C'est de là qu'ont été dégagés des secteurs porteurs pour le Maroc : offshoring, tourisme, télécommunications, BTP, plates-formes d'accueil des délocalisations... S'y ajoute le choix stratégique faisant du royaume un carrefour maritime mondial et une zone de transbordement d'avenir dans l'espace portuaire Tanger Med.

D'après leurs concepteurs, ces choix ont tous pris en compte les impératifs de la libéralisation, de l'environnement global. Et, fait rare au Maroc, les projections de changements pouvant intervenir dans la décennie à venir ont été également prises en considération.

Au terme de ce travail de réflexion, l'action a suivi. Le mot d'ordre a été donné pour l'accélération du rythme de travail dans tous les secteurs, la maîtrise des facteurs temps et coût dans la planification de tous les programmes, l'identification rigoureuse des intervenants et des tâches qui leur incombent selon un cahier des charges précis, la promotion du partenariat public-privé pour l'optimisation des moyens matériels et humains disponibles.

Dans l'effort de réflexion comme dans celui de l'exécution du plan de travail, le gouvernement agissait en top management d'une grande entreprise. Les ministres réfléchissaient ensemble et ensemble ils agissaient sur le terrain. C'est ce que Driss Jettou appelle la convergence. C'est ce qui permet de réussir des projets intégrés. Résultat, « aujourd'hui l'économie nationale s'installe dans un cercle vertueux de développement global aux effets d'entraînement intersectoriels prouvés ». C'est Driss Jettou qui le dit.

Pourtant, contrairement à ses prédécesseurs (Youssoufi exclu), il a dû travailler sans compter ni sur le foot ni sur la pluie. Durant la législature qui s'achève, l'équipe nationale de football n'a pas été brillante pour provoquer une quelconque euphorie qui aurait pu servir de palliatif social. La pluie non plus n'a pas été toujours au rendez-vous pour provoquer un quelconque état de grâce. Pour une fois, Lyautey est contredit. Gouverner n'est plus pleuvoir au Maroc.

La preuve par les chiffres
160 kilomètres d'autoroutes ont été réalisés en 2006, au lieu de 100 inscrits dans le programme gouvernemental. La construction de logements sociaux a atteint 115.000 unités, au lieu de 100.000. Comme quoi, le gouvernement a été jusqu'à dépasser ses propres prévisions.

D'une manière globale, le taux de croissance moyen des cinq dernières années, hors agriculture, est supérieur à 5 %, contre 3,3% sur la période 1999-2001.

L'endettement global du trésor s'est réduit de 7 points du PIB au cours des quatre dernières années pour se situer à 57% en 2006. L'inflation a été stabilisée dans une moyenne de 2% sur la période 2002-2006, malgré la hausse des prix du pétrole.

Le déficit budgétaire a été limité à 1,7% en 2006 contre 4,1% en 2002, malgré l'aggravation des charges de la compensation, de la masse salariale et le règlement des arriérés de la Caisse Marocaine des Retraites.

A titre indicatif, l'Etat a dû régler 11 milliards de dirhams d'arriérés à la Caisse Marocaine des Retraites et poursuivi le processus d'externalisation des caisses de retraites internes de certains établissements publics. Opération qui a nécessité plus de 60 milliards de dirhams.

Par ailleurs, le budget de l'Etat dépend de moins en moins des recettes de la privatisation, qui sont passées d'une moyenne de 12 milliards de dirhams par budget à 6 milliards de dirhams pour le budget 2006. Les investissements directs étrangers drainés par le royaume ont été de 25 milliards de dirhams en 2006 contre 5,8 milliards de dirhams en 2002.

Rien que de la part des Emirats Arabes Unis, les investissements au Maroc ont atteint plus de 4,8 milliards de dollars, soit le plus important montant investi par un pays arabe dans le Royaume. L'ouverture du Maroc vers les investissements arabes a été aussi un choix stratégique du gouvernement Jettou.

Le tourisme demeure un levier principal pour l'économie nationale. Rien qu'en 2006, le nombre de touristes a atteint 6,6 millions, pour des recettes de 55 milliards de dirhams contre 29 milliards de dirhams en 2002.

Autres indicateurs positifs, les réserves en devises ont été à fin 2006 de 21 milliards de dollars et le produit intérieur brut supérieur à 600 milliards de dirhams, soit 2300 dollars par habitant, contre 1400 seulement en 2002.

La recette de la TVA intérieure a augmenté de 30%. Ce qui montre que les Marocains ont consommé plus. Une augmentation de 14 % de la TVA à l'import a été également enregistrée. Le pays s'en trouverait mieux équipé.

Les indicateurs sociaux ont également été améliorés. Le taux de chômage a continué à baisser pour atteindre 9,7% en 2006 et 10% lors du premier trimestre 2007.

Le taux de scolarisation a été porté à 94% dans l'enseignement primaire et à 75% dans le premier cycle de l'enseignement secondaire. Les différents programmes d'alphabétisation ont permis de réduire le taux d'analphabétisme à 38,5% contre 43% en 2004. Sur un autre registre, 60% des populations rurales ont été désenclavées. Il y a eu aussi la construction de 14 barrages au cours de la période 2002 - 2006.

Dans le domaine de l'habitat social, le Maroc a pu satisfaire la demande additionnelle, évaluée à 400.000 unités sur la période 2002-2006. Dans le même élan, depuis la mise en exécution du programme « Villes sans bidonvilles », 20% de logements insalubres ont été démolis et 11 villes seront déclarées sans bidonvilles à la fin de cette année.

Du reste, le plus grand chantier ouvert dans le domaine social est celui de l'Initiative nationale pour le développement humain, initié par S.M Mohammed VI.

Legs de Jettou
Driss Jettou part en ayant ouvert, sous directives royales, des perspectives prometteuses pour le pays. Dans ce cadre, le chantier de Tanger-Med - qu'a initié et auquel tient par-dessus tout SM Mohammed VI - portera la capacité d'accueil du Maroc à 3,5 millions de containers et permettra la création de 100.000 emplois directs et indirects.

D'une capacité supérieure à 5 millions de containers, le port Tanger-Med II permettra au Maroc d'être leader dans l'espace euro-méditerranéen.

La stratégie Emergence permettra à l'horizon 2015 d'augmenter le PIB de 1,6 point par an, de réduire le déficit commercial de 50% et de créer quelque 400.000 emplois.

L'INDH est dotée d'une enveloppe globale de 10 milliards de dirhams au titre de la période 2006-2010 pour permettre de créer de nombreuses activités génératrices de revenus.

Faiblesses
Malgré les performances qu'il a réalisées dans différents domaines, le gouvernement a aussi ses faiblesses. Dans ce registre, l'Enseignement, la Santé et la Justice viennent en tête.

Même en ayant donné plus de moyens aux enseignants et atténué de la sorte leur grogne, Driss Jettou n'a pas pu donner une impulsion suffisante pour améliorer la qualité de l'enseignement public. L'école publique est devenue à l'ère du gouvernement Jettou plus surchargée que jamais. Dans certaines écoles primaires, un record de 50 élèves par classe a été enregistré.

Et dans l'ensemble des niveaux scolaires, les quelques révisions du contenu des manuels scolaires, n'ont pas été suffisantes pour mettre les établissements scolaires au service du savoir et du renouveau. L'absentéisme des enseignants universitaires est resté un problème structurel non résolu. La recherche scientifique, si chère à Driss Jettou, n'a pas connu non plus une avancée notable.

En outre, les confrontations entre étudiants universitaires cette année sont venues confirmer le malaise dans souffrent les universités marocaines. Ces établissements qui coûtent cher à l'Etat continuent à former des armées de chômeurs. En somme, l'éducation nationale reste une plaie béante qui demande à être soignée et bien soignée.

Le niveau si bas de la qualité des services du secteur de la santé publique est l'un des facteurs qui tirent vers le bas le Maroc dans le classement mondial du développement humain. Peu de choses ont changé dans ce secteur avec le gouvernement Jettou.

Il y a encore trop de corruption dans les hôpitaux publics. Lesquels ne disposent pas de suffisamment de matériels et de médicaments pour répondre à la grande demande des citoyens. Une visite aux urgences des CHU et des unités d'hospitalisation dans différentes villes du Royaume suffit pour se rendre compte de l'étendue du problème. Au demeurant, plusieurs localités enclavées restent sans le moindre centre de santé.

Ce qui ne permet pas de diminuer les statistiques déconcertantes au niveau national de la mort précoce des bébés et des décès des mamans dans les couches. Là encore, la santé publique a besoin de soins urgents et non de placebos. C'est également ce dont a grand besoin la Justice.

A elle seule, la lettre à l'Histoire rédigée par cinq avocats de Tétouan pour dénoncer la corruption dans les arcanes de la Justice est révélatrice de ce qui se passe dans différents cercles judiciaires au niveau national.

La tonitruante affaire Rkia et ses divers rebondissements sont également édifiants. D'ailleurs, même l'Union européenne qui a aidé financièrement le Maroc pour la mise à niveau de sa Justice, se plaint de la lenteur qui marque la mise en place de la réforme de ce secteur. Laquelle réforme est tant espérée par les Marocains, mais aussi par les investisseurs étrangers.


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